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27 mars 2020

Carnet / Portrait du personnage

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Une ressemblance avec l'enseigne de vaisseau Mhorn ?

 

Dans l’écriture de fiction, qu’il s’agisse du roman ou de la nouvelle, la description physique d’un personnage est loin d’être une évidence. Lui tirer le portrait est-il nécessaire à la narration ? À quel moment ? Dans quel but ? Il est plus facile de s’en passer dans une nouvelle très épurée que dans un roman. On peut contourner la difficulté en résumant le personnage à un détail sur lequel insister renseignera éventuellement sur sa psychologie, son histoire, un épisode de sa vie ou ses rapports avec les autres.

Quelle apparence donner à l’enseigne de vaisseau Mhorn qui apparaît dans plusieurs de mes livres publiés (Le Grand variable, Trois figures du malin) et inédits ? Il est certes un homme dans sa maturité mais dans quelle tranche d’âge ? Entre la cinquantaine (adolescence de la vieillesse) et la soixantaine (entrée dans le troisième âge) ? Fait-il plus jeune ou plus vieux que son âge ? Quelle particularité de son visage, de sa silhouette et de son maintien peut-elle donner une idée de son expérience, des épreuves qu’il a subies ou au contraire de la monotonie de son existence ? 

La description minutieuse a son intérêt si elle est précisément justifiée mais elle peut aussi enfermer le lecteur, l’empêcher de se faire sa propre idée du personnage. C’est souvent le cas pour des lecteurs très créatifs qui peuvent avoir plus d’imagination que le narrateur. Même s’ils n’écrivent pas, certains lecteurs ont une vraie nature de romancier, parfois plus riche que l’auteur du roman qu’ils ont entre les mains. Parmi les lecteurs de poésie qui ne produisent aucun texte (cela peut arriver !), un grand nombre d’entre eux sont ce qu’on appelle des natures poétiques dotées d’une capacité de lecture créative complexe qui peut les inclure sans problème dans le même processus mental que le poète. C’est pourquoi un personnage de fiction qui s’aventure dans un poème pâtira moins d’une description épurée qu’un personnage de roman ou de nouvelle.

En littérature, un des principaux défauts de jeunesse ou de pratique consiste à ne pas faire confiance au lecteur tout à fait capable d’avancer tout seul comme une grande fille ou un grand garçon sur les chemins sinueux du récit. Plus on écrit et plus on est lu (même par un lectorat restreint), plus on se rend compte que le lecteur peut devenir un excellent collaborateur si on accepte l’idée de ne pas toujours le contrôler en lui expliquant tout ce qu’il peut déduire ou carrément imaginer par lui-même.

Cette idée de déléguer une partie du travail me plaît beaucoup, non seulement parce que je n’aime pas trop me forcer mais encore parce qu’elle permet de prendre de la hauteur sur son propre texte, notamment lorsqu’on est bloqué par un détail ou coincé dans une impasse. C’est en abandonnant brièvement la peau de l’auteur et en se glissant un instant dans celle du lecteur qu’on finit par trouver la solution. Souvent, cette solution peut consister en l’absence même de solution ! Il faut parfois des jours et une corbeille remplie de brouillons pour accepter d’en arriver à cette conclusion.

 

09 novembre 2018

Velocita, parfumeur

le grand variable,éditinter,épuisé,christian cottet-emard,aventures contemporaines,fiction onirique,couverture Gabriel Guy,blog littéraire de christian cottet-emardQuand je me perds, je m’égare vraiment pour de bon. Je ne suis pas de ces mirliflores qui racontent partout qu’ils n’ont aucun sens de l’orientation mais qui, en réalité, se débrouillent toujours pour retrouver leur chemin au bout d’une heure ou deux.

Après la fête foraine où j’ai mangé des frites avec de la mayonnaise, j’ai tourniqué dans de petites rues tortueuses et puantes qui m’ont baladé tant qu’elles l’ont voulu avant de m’expédier à l’entrée d’une place déserte avec statue équestre. Sous la statue, on pouvait prendre le métro. J’ai dévalé les marches qui descendaient vers les distributeurs automatiques de tickets et je me suis fait happer par une colonne compacte d’usagers qui s’est engouffrée dans les rames. Je me suis calé à la diable dans le sillage de corps crispés ou avachis, tous résignés à l’incessante promiscuité des villes. Chaque station expulsait ou absorbait un peu plus de ces foules canalisées dont le flux et le reflux dans les galeries semblaient rythmer les échanges circulatoires et respiratoires d’un organisme fiévreux, malsain, tendu en un perpétuel effort.

Non loin de la station Vapeur-Marquise qui dessert la gare depuis un pont aérien, j’ai entrevu avec stupeur un visage connu, noyé dans la confusion des passants, le visage de la femme aux cheveux couleur de belladone.

Je me suis extrait comme j’ai pu du métro, j’ai grimpé quatre à quatre les marches d’un escalier de métal, j’ai couru sur une passerelle rouillée, j’ai traversé des rails, j’ai sauté d’un quai à l’autre, j’ai bousculé un groupe de voyageurs en attente — elle était là, derrière eux... Encore quelques mètres... — et je me suis arrêté dans un grand vent moite qui plombait le ciel de nuages si sombres que les lampadaires de l’éclairage public se sont allumés comme à la nuit tombante.

Elle était là, la femme au cheveux couleur de belladone, figée dans un sourire de papier sous lequel on pouvait lire :

VELOCITA, PARFUMEUR.

(Extrait de mon livre Le Grand variable, éditions Editinter, 2001, épuisé. On me dit que je devrais le faire rééditer puisque j'ai retrouvé mes droits sur cet ouvrage mais j'hésite. De toute façon, on en trouve des exemplaires sur le marché de l'occasion (internet) et dans certaines bibliothèques, à la médiathèque municipale d'Oyonnax par exemple, pour les personnes de ma région qui me demandent où en prendre connaissance.)

Illustration (pour cette page en ligne uniquement) : peinture sur porte de garage à Barcelone (photo CC-E)

 

09 mai 2016

L'angoisse du hanneton

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Ce printemps hâtif convoque des nuées de hannetons. Les arbres des rues, le soir, crépitent au-dessus de la tête des passants. Des escadrilles entières rasent les fenêtres dans le crépuscule lourd de pollen avant d'aller brûler contre les ampoules de l'éclairage public.

Tout enfant, lors d'une de ces journées à hannetons, j'ai guetté leur vol au bord de la croisée et, muni d'une pelle à ménage, je suis parvenu sans peine à les stopper d'un seul revers, en pleine course, dans un bruit mat suivi d'une courte chute. A la suite de cet exploit cruel et dérisoire, j'ai éprouvé une sorte d'écoeurement mêlé de jubilation, une sensation pénible.

Longtemps après, lors d'une autre année à hannetons, toujours accoudé sur le rebord de la fenêtre, je n’ai pu m'empêcher de me remémorer cette sensation en observant l'épuisement d'un de ces insectes dans une encoignure. Il agonisait et, avec ses élytres faussées, ressemblait à un vieil avion de toile qui viendrait d'être abattu. Je ne pouvais pas détacher mes yeux de la détresse du hanneton. Propulsé dans l'ivresse de l'espace parfumé pour se régaler de folioles, s'accoupler avec frénésie, et pourtant, condamné à crever longuement dans un recoin à défaut d'être gobé par un merle ou une mésange ou martyrisé par un enfant.

Né pour l'orgie, né pour souffrir, ainsi va la courte vie du hanneton dont la larve s'est si minutieusement préparée à ces grands moments sous la terre, des années durant. Hanneton, mon frère d'angoisse éblouie ! pensai-je en regardant mourir le coléoptère.

Le Grand variable (extrait). Éditions Editinter (épuisé).